La mode était venue au bref, et les années 1740 virent fleurir une théorie d’opéras en un acte. Rameau n’y fit pas exception, sa plume en signant une belle dizaine, dont Pygmalion sera demeuré le plus célébré, y compris à l’ère moderne.
Reinoud Van Mechelen et ses amis s’entendent à recréer la version de la création, où le ballet tenait plus de place comme le démontrent les gavottes, passepieds, rigaudons et autres contredanses qui augmentent sensiblement la quatrième Scène ; les reprises, qui formeront le Pigmalion que le disque aura majoritairement connu jusqu’alors, offriront un léger resserrement autour du brio des airs écrits pour Jéliote.
Reinoud Van Mechelen semble ne pas vouloir évoquer la virtuosité du créateur de Platée, soignant le style, le français subtilement accentué, l’éventail des sentiments, espressivo, partagé par sa splendide Statue, Gwendoline Blondeel. Les couleurs légères d’a nocte temporis font le divertissement intime, ce qu’accentue les participations mesurées des sopranos, préparant à la jolie surprise de Zémide de Pierre Iso. Son orchestre si sensible, si bien écrit, s’il entend les leçons de Rameau, dévoile une polychromie singulière, l’espressivo des parties vocales saisit tout autant, écrites avec art et mêlant le brio et l’émotion en une seule ligne. Il faudrait exhumer le maigre catalogue de ce musicien trop oublié pour découvrir d’autres gemmes.
Pour Camille Delaforge et son ensemble, qui s’en tiennent à la version issue des diverses reprises, Mathias Vidal fait sonner haut et clair son Pygmalion, rappelant l’emprise virtuose de Jéliote sur la plume de Rameau, y ajoutant une éloquence sensible qui surprend dès le premier air.
Magnifique, d’autant que Camille Delaforge n’hésite pas à peindre à fresque, tirant l’ouvrage de l’acte de ballet vers l’opéra ; cette volonté dramatique pourra surprendre, l’animation des dialogues emporte chaque chanteur, Laura Jarrell est une Céphise ardente, Louise Bourgeat-Roulleau, fragile marbre vivant, pourtant loin du si beau timbre de Gwendoline Blondeel, Catherine Trottmann, un Amour impérieux.
Ce Pygmalion rejoint celui, parfait, signé par William Christie pour harmonia mundi qui préférait la version de la création, Howard Crook restant à mon sens impérissable.
L’ajout d’une délicieuse cantatille sur le même sujet, signée Antoine Bailleux, le Récit de la Beauté tiré en façon de fragment de la musique de Lully pour Le mariage forcé, sont des ajouts précieux.
LE DISQUE DU JOUR
Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Pigmalion, RCT 52
Pierre Iso (ca. 1715-ca. 1794)
Zémide
Ema Nikolovska, mezzo-soprano (Zémide, Céphise)
Reinoud Van Mechelen, ténor (Pygmalion)
Gwendoline Blondeel, soprano (Amour)
Virginie Thomas, soprano (La Statue)
Philippe Estèphe, baryton (Phasis)
Chœur de Chambre de Namur
a nocte temporis
Reinoud van Mechelen, direction musicale
Un livre-disque du label Château de Versailles Spectacles CVS 174
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Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Pigmalion, RCT 52
Antoine Bailleux (ca. 1730-1800)
Pigmalion (Cantatille VI dans le goût italien)
Jean Baptiste Lully (1632-1687)
Le mariage forcé, LWV 20 (extrait : Récit de la Beauté)
Mathias Vidal, ténor (Pygmalion)
Catherine Trottmann, soprano (Rameau, Amour ; Bailleux)
Louise Bourgeat-Roulleau, soprano (La Statue)
Laura Jarrell, mezzo-soprano (Céphise)
Apolline Raï-Westphal, soprano (Lully)
Ensemble Il Caravaggio
Camille Delaforge, clavecin, direction musicale
Un livre-disque du label Château de Versailles Spectacles CVS 182
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Photo à la une : la claveciniste et fondatrice de l’Ensemble Il Caravaggio – Photo : © Emilie Brouchon