Le 17 novembre 2025, on célébrera le centenaire de la naissance de Sir Charles Mackerras, acteur essentiel de la vie musicale britannique, mais Anglais ? On oublie un peu vite sa naissance dans l’état de New York, son enfance et son adolescence australiennes, sa passion de la direction d’orchestre qui le conduira à Prague pour étudier auprès de Václav Talich. Débarqué à Londres, engagé par le Sadler’s Wells, troquant rapidement son hautbois contre la baguette, il n’aura de cesse de dévoiler les opéras de Leoš Janáček, persévérant ensuite à l’English Opera Group. Covent Garden lui ouvrira ses portes en 1964.
Le disque lui fit jouer les utilités au long des années cinquante, illustrant son activité de chef de ballet : le succès de son arrangement du Pineapple Pool de Sullivan ne le détourna pas de Janáček, mais il lui faudra attendre 1959 pour que Pye lui offre tout un microsillon, ouvert par une verte Sinfonietta, complétée par les ouvertures des opéras qu’il avait créés en langue anglaise au Sadler’s Wells (Somm vient de publier L’Affaire Makropoulos avec l’Emilia Marty de Marie Collier, j’y reviendrai).
HMV lui demanda des Ouvertures de Sullivan (auquel il dédiera ensuite une grande série d’enregistrements intégraux de ses opérettes dans des versions philologiques, Mackerras était aussi musicologue), mais à la fin des années cinquante il imposa ses propres choix, et d’abord d’incessants allers et retours entre Haendel et Mozart : le premier disparaîtra progressivement d’un parcours discographique sont le second deviendra la constante.
Se replonger dans ses fastueux Royal Fireworks et Water Music si alertement enlevés, dans ses Concerti grossi aux allégements surprenants, parcourir son Messiah solaire, parabole puissante et ailée portée par un cast flamboyant (Harwood, Baker, Eswood, Tear, Herincx) font regretter ces oratorios qu’il aurait à l’époque probablement relus à la même aune (son Israel in Egypt, son Saul pour Archiv sont demeurés in-démodés).
Le voyage Mozart, commencé par un vert disque de Danses, Divertimentos, Menuets, Marches, avec un épatant Les Petits riens détaillé par les virtuoses londoniens assemblés pour constituer le Pro Arte Orchestra, poursuivi par deux microsillons de Symphonies vivement enlevés (superbe Jupiter), par deux Concertos pour piano (Alan Schiller est assez remarquable dans le 23e, écoutez seulement), tous avec le London Philharmonic Orchestra. Il ira, par-delà un Idomeneo où le théâtre semble avoir mis le studio sens dessus dessous, préservant une incarnation majeure, l’Idamante de Lorraine Hunt Lieberson, jusqu’à l’album d’airs d’opéras pour Erato où il retrouvera son Elettra, Barbara Frittoli : ses autres opéras de Mozart seront pour Telarc.
La somme assemblée ici révèle quantité de disques oubliés ou inconnus (y compris de moi) : quel sel dans ces Ouvertures et pages d’opéras d’Ermanno Wolf-Ferrari avec le Philharmonia (Pye, 1956), quelle verdeur pour l’España de Chabrier, quelle poésie étrange pour Quiet City de Copland (un des inédits du coffret), quel brio pour les Danses du Tricorne, quel feu tout au long de l’Ouverture de La Forza del destino !
Et le souci de l’interprétation historiquement informée ? Esprit curieux, Sir Charles Mackerras s’y aventura avec succès pour quelques microsillons Schubert et Mendelssohn avec l’Orchestra of the Age of Enlightenment. Les disques Virgin sont restés justement célèbres, un écho de ce souci philologique se poursuivra dans l’intégrale des Symphonies de Beethoven à Liverpool ; on en cherchera la coda dans le cycle Brahms (Symphonies et Sérénades) chez Telarc, dans la somme symphonique mozartienne pragoise (Telarc itou), dans les ultimes enregistrements avec les Ecossais (Linn), toutes choses qui rappellent l’ampleur du legs discographique de Mackerras, dont cette belle boîte révèle bien des pans.
Les Russes font toujours l’objet de réussites spectaculaires : cette Troisième Symphonie de Rachmaninoff plus poétique qu’embrasée reste décidément singulière, comme son Sacre du printemps rendu au ballet ou ses Tableaux d’une exposition décidément plus Moussorgski que Ravel. Et Mahler ? Il fut l’un des objets de son art, sa Titan si sombre, sa 5e Symphonie amère, surtout son Knaben Wundehorn si Mittel-Europa font pleurer de ne pas avoir Das Lied von der Erde, les autres symphonies (mais cherchez en live, éditée par la BBC, sa Sixième !). L’amorce d’un cycle Dvořák laisse regretter cette suite qui viendra partiellement sous étiquette Supraphon.
Significativement, les Anglais sont en retrait, mais les Variations Enigma, si tendrement détaillées, Les Planètes entre éther et fulgurances, l’album Delius – magnifique version de Paris – laissent espérer que Decca célèbre aussi ce centenaire, reprenant les Argo avec les gravures Janáček viennoises.
Des perles oubliées : les disques Puccini avec Monsieur et Madame Caballé, le raffinement de ses Deux pigeons de Messager, le con fuoco du microsillon de danses Mittel-Europa où il arde le Philharmonia, conclu par cette étourdissante Première Rhapsodie roumaine d’Enesco, et l’album des pages choisies de Götterdämerung où encore ce sombre Siegfried d’Alberto Remedios répond à la solaire Brunnhilde de Rita Hunter, rappellent qu’à l’opéra Sir Charles Mackerras fut toujours chez lui.
LE DISQUE DU JOUR
The Complete Warner Classics Edition
Recordings on HMV, Pye, Columbia Grammophone, Classics for Pleasure, EMI Classics, Virgin Classics, Erato
Œuvres de Tommaso Albinoni, Béla Bartók, Ludwig van Beethoven, Alban Berg, Hector Berlioz, Alexandre Borodine, Johannes Brahms, Havergal Brian, Paul Burkhard, Emmanuel Chabrier, Frédéric Chopin, Jeremiah Clarke, Eric Coates, Aaron Copland, Léo Delibes, Frederick Delius, Gaetano Donizetti, Antonín Dvořák, Sir Edward Elgar, Georges Enesco, Manuel de Falla, Umberto Giordano, Alexandre Glazunov, Reinhold Glière, Mikhaïl Glinka, Charles Gounod, Georg Friedrich Haendel, Victor Herbert, Johann Wilhlem Hertel, Gustav Holst, Mikhaïl Ippolitov-Ivanov, Gordon Jacob, Leoš Janáček, Henry Litolff, Gustav Mahler, Felix Mendelssohn Bartholdy, André Messager, Giacomo Meyerbeer, Modeste Moussorgski, Wolfgang Amadeus Mozart, Jacques Offenbach, Amilcare Ponchielli, Giacomo Puccini, Sergei Rachmaninoff, Max Reger, Emil von Řezníček, Nikolai Rimski-Korsakov, Gioacchino Rossini, Camille Saint-Saëns, Franz Schubert, Bedřich Smetana, Johann Strauss fils, Richard Strauss, Igor Stravinski, Arthur Sullivan, Piotr Ilitch Tchaikovski, Georg Philipp Telemann, Joaquín Turina, Giuseppe Verdi, Richard Wagner, William Walton, Carl Maria von Weber, Jaromir Weinberger, Dag Wirén, Ermanno Wolf-Ferrari, etc.
English Chamber Orchestra
London Philharmonic Orchestra
London Symphony Orchestra
New Philharmonia Orchestra
Orchestra of the Age of Enlightenment
Orchestra of the Royal Opera House, Covent Garden
Orchestre de l’Opéra National de Paris
Philharmonia Orchestra
Prague Chamber Orchestra
Pro Arte Orchestra
Robert Masters Chamber Orchestra
Royal Liverpool Philharmonic Orchestra
Sadler’s Wells Orchestra
Scottish Chamber Orchestra
Sir Charles Mackerras, direction
Un coffret de 63 CD du label Warner Classics 5021732623560
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Photo à la une : le chef d’orchestre Sir Charles Mackerras –
Photo : © DR
