Toucher mesuré, ton intime, couleurs discrètes, le Mozart d’Angela Hewitt ne sera pas cet opéra qu’invitait Claudio Arrau au centre du clavier ou l’appassionato épuré qu’y entendait Lili Kraus. Peu importe diront certains, la noblesse du jeu, l’élégance du discours, une évidente simplicité leur suffiront pour entendre que la pianiste canadienne va au cœur des œuvres, même si elle leur refuse cette dimension supplémentaire, que tant, d’Haskil ou de Gieseking jusqu’à Say ou Fujita aujourd’hui, y auront affirmée.
Cette manière uniment sereine va assez bien aux Sonates de 1778, œuvres d’un jeune homme dans sa vingtaine, pour les autres, Angela Hewitt amplifiera son jeu, sans toujours trouver l’élan, lui préférant un geste lyrique, une approche décantée, où son piano si esthétique rayonne quasi avant les œuvres. Ses notes d’intention, fouillées, documentées, sont passionnantes, preuve qu’elle s’est investie dans ce projet peut-être plus âme que corps.
Le même dilemme parait aggravé dans le second volume : ce jeu mesuré, nativement élégant allait d’évidence aux Sonates du jeune Mozart, moins aux suivantes, demandant plus d’ampleur pianistique.
Comment ne pas entendre qu’elle achoppe aux opus de la maturité, question de simple nature sonore : le joli de la Sonate en la majeur lui va assez bien, même si elle édulcore, plus du tous les grands déploiements de la Sonate en la mineur où, croyant trouver le souffle, elle durcit le toucher.
La compréhension des formes reste toujours aussi éclairante, le sens classique de la ligne ne fera pas défaut, mais le jeu de grand caractère défendu par les grands aînés rappelés plus haut est quasiment absent : cette Marche turque en boîte à musique, assez impossible après les audaces auxquelles nous ont habitués les pianofortistes, le souligne. Le meilleur ? Les deux Fantaisies, soudain le son se creuse, incroyable !, une pointe de romantisme transparaît, métamorphosant ce jeu que les Sonates avaient corseté. Un espoir pour le volume suivant ?
L’entrée de sa Chasse, sans clairon, ne le laisse pas espérer, le joli règne, et presque le rococo dans la Sonate en si bémol majeur, toujours dans les Sonates elle se refuse évidemment le giocoso, question de nature, mais hélas aussi la gravité, la profondeur, ce son soudain si différent dont elle revêt les Fantaisies, les Rondos, les Adagios. La forme libre de ces pièces unitaires semble la délivrer d’une contrainte, et soudain Mozart paraît dans une vraie plénitude qui n’est pas que physique. L’esprit est là, et une projection vers l’avenir qu’elle n’aura pas su débusquer ailleurs.
Mais ceux qui l’aiment, et qui ont raison, voudront la suivre ici. Je me souviens pourtant qu’elle avait entrepris bien avant ces Sonates un cycle des Concertos resté à son troisième volume. Il attestait déjà du difficile chemin qu’elle devait parcourir pour être absolument chez elle ici.
LE DISQUE DU JOUR
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Les Sonates pour clavier,
Vol. 1
Sonate No. 1 en ut majeur,
K. 279
Sonate No. 2 en fa majeur,
K. 280
Sonate No. 3 en si bémol majeur, K. 281
Sonate No. 4 en mi bémol majeur, K. 282
Sonate No. 5 en sol majeur, K. 283
Sonate No. 6 en ré majeur, K. 284 “Dürnitz”
Sonate No. 7 en ut majeur, K. 309
Angela Hewitt, piano
Un album de 2 CD du label Hypérion CDA68411/2
Acheter l’album sur le site du label Hypérion Records, sur le site www.clicmusique.com ou sur Amazon.fr ― Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com
Wolfgang Amadeus Mozart
Les Sonates pour clavier,
Vol. 2
Sonate No. 9 en ré majeur,
K. 311
Sonate No. 8 en la mineur,
K. 310
Sonate No. 10 en ut majeur,
K. 330
Fantaisie en ut mineur, K. 396 (version Stadler)
Fantaisie en ré mineur, K. 397
Sonate No. 11 en la majeur, K. 331
Sonate No. 12 en fa majeur, K. 332
Sonate No. 13 en si bemol majeur, K. 333
Angela Hewitt, piano
Un album de 2 CD du label Hypérion CDA68421/2
Acheter l’album sur le site du label Hypérion Records, sur le site www.clicmusique.com ou sur Amazon.fr ― Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com
Wolfgang Amadeus Mozart
Les Sonates pour clavier,
Vol. 3
Fantaisie en ut mineur, K. 475
Sonate No. 14 en ut mineur,
K. 457
Sonate No. 15 en fa majeur,
K. 533/494
Sonate No. 16 en ut majeur,
K. 545 « Sonate facile »
Rondo en ré majeur, K. 485
Gigue en sol majeur, K. 574
12 Variations sur « Ah, vous dirai-je Maman », K. 265
Sonate No. 17 en si bémol majeur, K. 570
Sonate No. 18 en ré majeur, K. 576
Adagio en si mineur, K. 540
Rondo en la mineur, K. 511
Angela Hewitt, piano
Un album de 2 CD du label Hypérion CDA68431/2
Acheter l’album sur le site du label Hypérion Records ou sur Amazon.fr ― Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com
Photo à la une : la pianiste Angela Hewitt – Photo : © DR