En 2010, Steven Osborne avait rejoint Paul Lewis pour un album Schubert à quatre mains dont la Fantaisie tourna longtemps dans ma platine. Le voici qui ose seul tout un disque Schubert. Contrairement aux pianistes de sa génération, ce n’est pas sur les espaces ouverts des Sonates qu’il porte son attention mais sur les Impromptus, D. 935, les Klavierstücke, D. 946, et pour compléter ces Variations Hüttenbrenner que Wilhelm Kempff chérissait. Inutile de chercher ici un grand geste dramatique. Osborne joue les Impromptus sous un éclairage bas, chez lui et pour lui quasiment.
Son ton intime, son absence de sollicitation portés par le pianisme discret et profond qu’on lui connaît ne cesse que pour le quatrième Impromptu, dominé toujours, mais qui, comme jadis sous les doigts d’Edwin Fischer, prend les accents d’un furiant. Prélude logique aux trois Klavierstücke dont le ton dramatique, les accents prophétiques ne s’incarnent pourtant pas absolument dans ce clavier si mesuré. Trop tôt ? Non. Osborne est un musicien un rien secret, son Schubert doit être réécouté, apprivoisé, il ne se livre pas ainsi d’emblée, n’est pas offert, il vous faudra l’apprivoiser…
Dix ans plus tard, le voici face aux abîmes de la grande Sonate en la majeur. Il y entre avec une sorte de détachement, une volonté de chanter d’abord, qui dans l’Andantino deviendra désolation avant la vision. Certains trouveront ce Schubert secret, intime, contraire à l’expressionisme qu’on peut attendre : mais justement la vision introduite par une harpe éolienne n’en sera que plus saisissante, et soudain ce beau piano qui le restera toujours déploie une tempête de timbres : pas un marteau à l’horizon, mais une si étrange poésie, qui s’infusera tout au long de cette lecture secrète, comme si le pianiste se la destinait à lui seul, nous rendant voyeur.
Rien n’a donc changé en dix ans, cette constance trouve le cœur des Moments musicaux, désarmant de simplicité, tout un monde de forêt, de cor de postillon, de clochers perdus dans la brume, et soudain ce cavalier furieux qui déboule : Steven Osborne aurait-il trouvé la face sombre qui manquait à ses Klavierstücke ? La vision de l’Andantino de la Sonate, le raptus de cet Allegro vivace le laissent croire, espérons qu’il ne faudra pas attendre dix ans avant une autre étape de ce voyage (trop) au long-cours.
LE DISQUE DU JOUR
Franz Schubert (1797-1828)
4 Impromptus, Op. 142,
D. 935
3 Klavierstücke, D. 946
13 Variations sur un thème de Hüttenbrenner, D. 576
Steven Osborne, piano
Un album du label Hypérion CDA68707
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Franz Schubert (1797-1828)
Sonate pour piano [No. 20]
en la majeur, D. 959
6 Moment musicaux, D. 780
Steven Osborne, piano
Un album du label Hypérion CDA68437
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Photo à la une : le pianiste Steven Osborne –
Photo : © Benjamin Ealovega