L’orchestre du piano

Mikhaïl Pletnev aura enfermé plus que l’orchestre de Tchaïkovski dans ses deux arrangements des numéros tirés de Casse-noisette et de La Belle au bois dormant : sur son clavier résonnent l’effervescence et les rêves de la danse, comme le précis d’une narration qui en font deux merveilleux ouvrages lyriques sans voix.

Ces tours de force poétiques, le pianiste-transcripteur en a fait son miel, les a enregistrés, d’autres se les sont appropriés avec plus ou moins de bonheur, Andrey Gugnin en fait le fil rouge de son album-portrait des œuvres de Diaghilev : on voit le ballet, on suit les personnages, le toucher plein de fantaisies envole les déploiements lyriques de La Belle au bois dormant, dore d’une touche un peu fantasque Casse-noisette, partout des subtilités, une élégance, un art de faire sonner qui convoque un éventail de couleurs oniriques.

Des réductions ? En rien, on s’en doute, mais justement lorsque Guido Agosti met sa plume virtuose dans les apparitions magiques ou diaboliques de L’Oiseau de feu, une dimension supplémentaire s’impose. La plénitude et l’invention de l’arrangement produit ne sont rien moins qu’une recréation, ce qu’Andrey Gugnin magnifie par un jeu d’une autorité saisissante : l’art d’évoquer en est la clef.

L’art de tout faire entendre sera le point fort de sa lecture sidérante des Trois mouvements de « Pétrouchka », où Stravinski n’a pas pensé une seule seconde à ne pas créer une œuvre absolument indépendante du ballet, servi par la virtuosité d’une écriture spectaculaire. Jadis Shura Cherkassky y jetait personnages et décors d’un geste en technicolor, Andrey Gugnin préfère resserrer la focale, enflammer le clavier (sans pourtant rien de percussif, il préfère les timbres), montrer la cruauté de l’argument, le tragique de Pétrouchka, la monstruosité de la foire, faisant jaillir autant d’images cinématographiques, coda spectaculaire d’un album dont le maître mot est : surprendre.

LE DISQUE DU JOUR

Russian Ballet
Suites

Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893)
Casse-noisette, Op. 71, TH 14 (extraits, arr. Mikhail Pletnev)
La Belle au bois dormant,
Op. 66, TH 13 (extraits,
arr. Mikhail Pletnev)

Igor Stravinski (1882-1971)
Trois mouvements de « Pétrouchka », K012A
L’Oiseau de feu, K010 (3 extraits : Danse infernale du roi Kastcheï, Berceuse, Finale ; version Guido Agosti)

Andrey Gugnin, piano

Un album de 2 CD du label Hypérion CDA68471/2
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Photo à la une : le pianiste Andrey Gugnin – Photo : © DR