Julien Libeer revient à ce jardin secret que lui est Ravel probablement depuis l’enfance, je ne peux que le croire en l’entendant jouer la Sonatine avec tant de tendresse jusque dans le plus trouble.
Il remet ici son Tombeau de Couperin, ses Valses nobles et sentimentales, objet de son premier disque (voir ici). La même poésie diffuse continue d’y régner, les mêmes émois dans les stèles à peine masqués des Tombeaux pour les amis morts à l’ennemi, toute cette pudeur bercée d’élégance va au cœur des deux cahiers, tant de poésie augmentée par un somptueux Steinway si bien capté par Aline Blondiau qui respecte l’acoustique de la salle de musique de chambre du Concertgebouw de Bruges.
Son Gaspard de la nuit entre rêve et cauchemar, subtilement maîtrisé, évite à Scarbo le délire virtuose pour mieux faire paraître le succube, vision qui ne s’oublie pas, mais doit céder la place à cette Ondine dangereuse par sa séduction même, un peu Lorelei. Le temps suspendu du Gibet fait songer aux décombres, le tempo est pourtant fluide, il fixe d’autant la vision, plus inquiète que sinistre.
Et Miroirs ? Fuligineuses les Noctuelles sont insaisissables comme elles doivent, capricieuses, sautant les barres de mesure où par contraste se plaindront doucement des Oiseaux tristes esseulés par la torpeur, la main gauche les berçant dans une forêt du Douanier Rousseau. Barque hypnotique et pourtant dès les premières mesures dorées d’embruns, avant l’engloutissement où le Steinway ouvre l’abime. Son Alborada ne sera jamais charge, plutôt une vraie sérénade, avec pour l’épisode central une gitanerie qui évoque la candela de L’Amour sorcier. À l’écoute de sa Vallée des cloches mystérieuse à souhait, on croit ouvrir un livre de contes.
Deux amis se joignent aux sessions, Bruno Philippe qui déploie l’arabesque de la Vocalise-étude en forme de Habanera que Paul Bazelaire a heureusement acclimatée à son archet, avant d’aborder ce qui reste l’œuvre la plus aventureuse de Ravel, cette Sonate où il bataille et rêve avec le violon de Lorenzo Gatto. Je crois bien n’avoir jamais entendu si clairement les allusions à la belle Nahandove dans les premières mesures de l’Allegro.
Merveille, la Sonate pour violon et piano où Julien Libeer invente une variété de toucher plus entendue depuis Yvonne Lefébure, Lorenzo Gatto flûtant son archet un peu faune dans l’Allegretto, cambrant le Blues, transformant le Perpetuum mobile en incendie, tant de beautés qui font regretter l’absence du Trio, de l’autre Sonate pour violon, de Ma mère l’Oye, des Sites auriculaires, des autres pièces pour piano seul, originales ou transcrites. Demain peut-être !
LE DISQUE DU JOUR
CD 1
Vocalise-étude en forme de habanera, M. 51* (version pour violoncelle et piano : Paul Bazelaire)
Jeux d’eau, M. 30
Sonatine, M. 40
Miroirs, M. 43
CD 2
Gaspard de la nuit, M. 55
Sonate pour violon et violoncelle, M. 73
CD 3
Valses nobles et sentimentales, M. 61
Sonate pour violon et piano No. 2, M. 77
Le Tombeau de Couperin, M. 68
Bruno Philippe, violoncelle
Lorenzo Gatto, violon
Julien Libeer, piano
Un coffret de 3 CD du label harmonia mundi HMM 902761.63
Acheter l’album sur le site de la boutique du label harmonia mundi ou sur Amazon.fr ― Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com
Photo à la une : le pianiste Julien Libeer – Photo : © Jorre Janssens
