Daniel Barenboim, s’emparant de la baguette du chef d’orchestre, savait déjà son compositeur d’élection : Anton Bruckner. Otto Klemperer lui avait montré la voie, His Master’s Voice lui demandant avec l’orchestre même de son mentor, les Messes, le Te Deum emmené en tempête qu’il reprendra la décennie suivante à Chicago : tout juste trentenaire, il inaugurait son cycle Bruckner pour Deutsche Grammophon avec une Romantique saisissante à force de paysages, d’élan, d’obscure clarté.
Il apportait à Chicago cette révolution Bruckner que Sir Georg Solti avait en quelque sorte contournée, inféodant le Ménestrel de Dieu à Wagner, ardant un orchestre orgue, vision quasi à l’encontre de ses Bruckner viennois.
Daniel Barenboim regardait ailleurs, dans ce romantisme sombre, mystique, tourmenté, quasi-schumanien au long d’une Deuxième Symphonie assez inouïe, coda de l’intégrale (1982). Le miracle est bien d’avoir transportée cette Allemagne sonore en Illinois.
La poésie épique des quatre premières Symphonies, la cathédrale de la Cinquième emplie d’une lumière saisissante, le furioso d’une Sixième Symphonie qui ne laisse pas croire possibles les immenses vaisseaux de cordes d’une Septième lagunaire, proche du sublime, ni le tremblement de terre d’une Huitième aux accents de fin du monde (ce Finale) : tout Bruckner s’incarne sous la baguette du jeune homme, le plus étonnant reste cette Neuvième Symphonie, osée au début du cycle, juste après la Romantique, musique comme venue d’une autre planète, avec cette sonorité d’Hadès au long du Misterioso, ce Scherzo si étrange, cet Adagio esseulé, bouleversant, hésitant entre Schubert et Mahler, quel art dans tout cela, qu’il retrouvera à Dresde (Deutsche Grammophon, la Staatskapelle y étant pour beaucoup), moins à Berlin, et quelle prise de son !
« 10 Symphonies » proclame le recto de ce beau coffret : Daniel Barenboim ne reviendra pas à la Nullte, ni au Psaume 150, ni à Helgoland, cette fulgurante rareté qu’avait révélée au disque Wyn Morris, et pas davantage au Te Deum tant aimé, où se conjuguent les feux sombres de deux officiants implacables : Jessye Norman et David Rendall.
Réédition parfaite d’une somme historique.
LE DISQUE DU JOUR
Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie No. 0 en ré mineur, WAB 100 « Die Nullte »
Symphonie No. 1 en ut mineur, WAB 101
Te Deum, WAB 45
Symphonie No. 2 en ut mineur, WAB 102
Symphonie No. 3 en ré mineur, WAB 103
Psalm 150*, WAB 38
Symphonie No. 4 en mi bémol majeur, WAB 104 « Romantique »
Symphonie No. 5 en si bémol majeur, WAB 105
Symphonie No. 6 en la majeur, WAB 106
Helgoland, WAB 71
Symphonie No. 7 en mi majeur, WAB 107
Symphonie No. 8 en ut mineur, WAB 108
Symphonie No. 9 en ré mineur, WAB 109
Jessye Norman, soprano
*Ruth Welting, soprano
Yvonne Minton, mezzo-soprano
David Rendall, ténor
Samuel Ramey, basse
Chicago Symphony Chorus
Chicago Symphony Orchestra
Daniel Barenboim, direction
Un coffret de 10 CD du label Deutsche Grammophon 486 8033
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Photo à la une : le chef d’orchestre Daniel Barenboim –
Photo : © Deutsche Grammophon