Quel rêve d’océan berce l’étrange Boat Song de Dorothy Howell ? Un coup de vent vient en troubler l’hypnose, mais la grève grise, l’eau silencieuse se referment. Un tel degré de suggestion, une telle simplicité, rappellent l’œuvre singulière de celle qui se fit la gardienne du Temple Elgar, et la veilleuse attentive à l’entretien de sa sépulture. Elle avait subjugué le maître, et la critique musicale londonienne, en dévoilant un saisissant poème symphonique, Lamia, masquant le reste d’un catalogue où le piano aura occupé la part la plus secrète.
Hiroaki Takenouchi referme l’album avec cinq autres de ses pièces, dont les harmonies fuyantes sont parfois un peu Scriabine, balançant entre nostalgie et capriccioso, gemmes pianistiques dont il se délecte avec raison de son beau toucher profond.
Il réunit ici quatre compositeurs dont le sexe est secondaire, ayant soin d’enregistrer des premières mondiales, révélant la Fantasy Sonata d’une Madeleine Dring encore étudiante, méconnaissable pour qui sait les songs qui firent sa relative célébrité. Œuvre complexe et aventureuse dont le titre dit assez qu’elle pensa aux audaces de Frank Bridge, initiateur de cette vague de phantasy, sonates, trios, quatuors, qui larguait les amarres d’avec l’univers edwardien. Pour certains, la découverte sera éclairante.
Délicieuses, les petites pièces de Doreeen Carwithen, jouées avec beaucoup de fantaisie, mais elles semblent après la Sonate de Madeleine Dring comme venues d’un autre espace temporel, manière de préluder à un retour vers le passé qui fait découvrir la belle Sonate de Caroline Reinagle (années 1840) : beaucoup de Mendelssohn partout, c’était la règle alors en Albion, une élégance sans afféterie, un très bel Andante, un Final plein de caractère, une écriture assez rebelle et dans le sillage des précédents disques du pianiste, un écho clair à son attachement au répertoire romantique des Iles britanniques qui l’ont poussé à défendre le catalogue de William Sterndale Bennett.
LE DISQUE DU JOUR
Works for Solo Piano
by British Women Composers
Dorothy Howell (1898–1982)
May (The Cuckoo Calls)
August (The Harvest Field) (extraits de « All the Year Round », 1934)
Boat Song (1920)
Prelude en fa mineur. Andante, e cantabile
Prelude en ut majeur. Moderato semplice
Prelude en la bémol majeur. Allegro vivace
Spindrift (1920, version pour piano seul)
Madeleine Dring (1923–1977)
Fantasy Sonata in one movement (1938)
Doreen Carwithen (1922–2003)
Four Preludes (1950)
Caroline (Orger) Reinagle (1817–1892)
Volunteer Rifle March (1860)
Sonata for the Piano Forte en la majeur, Op. 6
Hiroaki Takenouchi, piano
Un album du label Artalinna ATL-A046. La version disponible sur les services de musique en ligne propose en plus le cycle Puppydogs’ Tales de Howell (1925) et la Tarantella en mi mineur, Op. 4 de Reinagle
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Photo à la une : le pianiste Hiroaki Takenouchi –
Photo : © Marc de Pierrefeu (le philtre)