Archives par mot-clé : Béla Bartók

Transylvanie

Depuis que le Premier Concerto est sorti de l’oubli, portrait vivant de l’amour de Bartók pour Stefi Geyer, il accompagne souvent au disque le grand concerto-ballade écrit vingt ans plus tard, couplage plus périlleux qu’il n’y paraît : les violonistes sont toujours tentés de tirer le Premier vers le Second, ce dont Benjamin Schmid se garde bien, les distinguant au contraire comme deux mondes antithétiques : la pureté de la grande phrase qui ouvre l’Andante de l’opus posthume est désarmante par sa poésie venue d’un autre temps, alors qu’un ménétrier fait danser l’Allegro plus piquant que giocoso : quel caractère dans cet archet qui fait le vielleux, et comme l’orchestre champêtre persiffle avec lui. Œuvre heureuse, à l’inverse du grand nocturne étrange qui emporte tout le Deuxième Concerto.

Nocturne non pas moderniste comme tant de versions, mais empli de paysages transylvaniens, joués comme une pastorale nostalgique jusqu’à l’amer, avec au centre un Andante tranquillo qui n’est plus une plainte, mais une mélodie toute simple qu’un chevrier pourrait souffler dans sa flûte avant d’esquisser sur les spiccatos une danse narquoise. Benjamin Schmid joue tout le concerto preste, sans s’appesantir, sans effet, cherchant les lignes fluides, les couleurs difractées par un jeu d’archet à la corde, fuyant le style déclamatoire que les virtuoses veulent y mettre, espérant briller à contrario de l’oeuvre.

Il le joue modestement, serrant le texte au plus près, peu soucieux de produire du beau son, fidèle à la manière âpre de quatre interprètes historiques de l’œuvre, Zoltán Székely, Tossy Spivakovsky, Max Rostal et André Gertler et dans le Finale, ardent, acide, fulgurant comme eux, avec le soutien sans cesse sans lourdeur d’un orchestre dirigé vif par Tibor Bogányi qui dirige comme il peindrait les paysages dans lesquels il vit.

Album magnifique, qui saisit la vérité de ces deux œuvres. Schmid serait bien inspiré de nous donner les trois Sonates.

LE DISQUE DU JOUR

Béla Bartók (1881-1945)
Concerto pour violon et orchestre No. 1, Op. posth., Sz. 36
Concerto pour violon et orchestre No. 2, Sz. 112

Benjamin Schmid, piano
Pannon Philharmonic Orchestra
Tibor Bogányi, direction

Un album du label Gramola 2018-07-15
Acheter l’album sur le site du label Gramola, sur le site www.clicmusique.com, ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Photo à la une : © DR

Tombeau de Jiří

L’hommage a été brossé rapidement : tirer de la bonne centaine d’enregistrements consentis à Panton et à Supraphon seulement un coffret de 8 CD semble un peu court. Il l’est mais comporte son lot de surprises.

Quel plaisir de retrouver le doublé Janáček (Sinfonietta villageoise et Taras Bulba très conte noir) que Jiří Bělohlávek, alors à l’orée de sa trentaine, gravait à Brno pour Panton, cette verdeur, cette alacrité, ces rythmes si impérieux, mais aussi la Verklärte Nacht ourlée, soie et rêve, le Nouvel Orchestre de Chambre de Prague auquel s’ajoutait l’Etude de Pavel Haas, disque majeur devenu rare. Continuer la lecture de Tombeau de Jiří

La perfection

Belle idée, rassembler les gravures russes que Louis Kentner grava pour le 78 tours : ses Études de Liapounov où la virtuosité ne se fait jamais voir sont restés des modèles, je suis bien curieux d’entendre ce que Florian Noack, qui s’apprête à les enregistrer, aura appris à leur fréquentation.

Son Islamey de Balakirev, plus indolente, plus « Shéhérazade » que celles de tant de bêtes d’estrade, est un conte magique où tout l’orient s’engouffre, poème de sons. Car Louis Kentner fut un maître des timbres.

Pur produit du Conservatoire de Budapest, ami de Bartók et créateur en Hongrie de son Deuxième Concerto, futur beau-frère et partenaire de Yehudi Menuhin, établi à Londres dès 1935, il laissa un legs discographique immaculé, dont ces 78 tours de répertoire russe n’illustrent qu’une face. Lorsque l’on sait qu’il donna sur les ondes de la BBC l’intégrale des Sonates de Beethoven et de Schubert ! Cela fut-il seulement conservé ? Peu probable, hélas.

La publication d’un inédit absolu complète cet album impeccable, et quel ! Rien moins que la Sonate de Liszt, bouclée en un peu moins de vingt-huit minutes, entreprise avec un naturel et un aplomb qui en 1948 font entendre que Kentner jouait comme toujours en classique, construction parfaite, sens du récit, couleurs subtiles, et cette conscience de l’harmonie : voilà qui rend cette parution d’autant plus indispensable et son long séjour aux enfers du disque incompréhensible.

LE DISQUE DU JOUR


Mili Balakirev (1837-1910)
Sonate pour piano No. 2
en si bémol mineur
(enr. 2 juin 1949)

Islamey, fantaisie orientale, Op. 18 (enr. 14 juin 1944)
Rêverie en fa majeur
(enr. 15 juin 1944)

Mazurka No. 6 en la bémol majeur (enr. 14 avril 1944)
Sergei Liapounov (1859-1924)
12 Études d’exécution transcendante (enr. Décembre 1949)
Franz Liszt (1811-1886)
Sonate pour piano en si mineur, S. 178 (enr. 28 mai & 4 juin 1944)

Louis Kentner, piano

Un album de 2 CD du label APR 6020
Acheter l’album sur le site www.clicmusique.com, ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Photo à la une : Dessin de René Shapshak : Louis Kentner (détail) – Photo : © DR