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Pour l’archet d’Ysaÿe

Susciter des chefs-d’œuvre, Eugène Ysaÿe en fut coutumier, il est le héros du nouvel album qu’Alina Ibragimova et Cédric Tiberghien font paraître après leur grand voyage chez Mozart.

Son Poème élégiaque, inspiré par la scène au tombeau de Roméo et Juliette ouvre ce disque et vient rappeler quel compositeur d’importance il fut, avant même d’être l’inspirateur et l’interprète de génie que l’on sait. Il avait le don de créer un univers poétique hypnotique que l’archet de la violoniste saisit dans toutes ses nuances : le paysage qu’elle compose avec le piano éolien de Cédric Tiberghien à la fin de l’œuvre me poursuit de son long trille fuligineux.

La Sonate de Franck évite toute hystérie, sans pourtant rien perdre de son pouvoir d’émotion, la sonorité creusée du violon, le piano orchestral mais sans tapage, tout conduit à produire une lecture intériorisée qui suspend le temps dans le Recitativo-Fantasia, aux teintes fauréennes ici : quel art du pianissimo !

Vingt ans plus tard, Ysaÿe se tournait vers un autre organiste : Vierne lui écrirait-il une sonate ? Ysaÿe y mit son grain de sel, la partie de violon est étourdissante. Vierne, se prenant au jeu, écrivit une œuvre brillante, capricieuse de rythmes, pleine de surprises harmoniques, avec une magnifique partie de piano – pensée pour Raoul Pugno – que Cédric Tiberghien fait sonner avec des raffinements que peu y auront mis jusque-là alors que le l’archet d’Alina Ibragimova danse avec ivresse ou rêve, nostalgique à souhait. Heureux Vierne dont cette Sonate trop longtemps restée peu courue malgré les efforts de Jean Moulière et de quelques autres, aura suscité récemment deux belles versions, celle-ci et celle d’Elsa Grether et François Dumont.

En postlude, quelle jolie idée d’avoir placé la berceuse en train de s’endormir qu’est le tendre Nocturne de la grande Lili, pur instant de poésie, comme tout ce disque !

LE DISQUE DU JOUR

Eugène Ysaÿe (1858-1931)
Poème élégiaque, Op. 12 (version pour violon et piano)
César Franck (1822-1890)
Sonate pour violon et piano en la majeur, FWV 8
Louis Vierne (1870-1937)
Sonate pour violon et piano en sol mineur, Op. 23
Lili Boulanger (1893-1918)
Nocturne pour violon et piano

Alina Ibragimova, violon
Cédric Tiberghien, piano

Un album du label Hypérion CDA68204
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Photo à la une : le pianiste Cédric Tiberghien et la violoniste Alina Ibragimova – Photo : © DR

Les ombres de Franck

Pour un premier disque, il fallait oser ce qui, au fond, est un album César Franck, c’est-à-dire oser jouer non seulement Prélude, Choral et Fugue (et avec quelle densité de son et de propos !) mais aussi le splendide Prélude, Aria et Final autrement difficile Continuer la lecture de Les ombres de Franck

Tout d’un grand

Qui phrase ainsi les arpèges du Prélude, Choral et Fugue de Franck, dans une vraie sonorité d’orgue, où tous les timbres exhaussent comme une prière ? C’est un magicien certainement, tant ses polyphonies chantent.

Mihai Ritivoiu, Prix Lipatti, vainqueur du Concours Enesco, doit certainement son art de timbrer et de phraser à Valentin Gheorghiu, il aura hérité de ce pianiste pour les musiciens la grande technique classique, celle-là même que montrait Dinu Lipatti, y ajoutant cette capacité typiquement roumaine d’imaginer le clavier comme une palette de couleurs. C’est flagrant dans les gris colorés de Franck comme amplifiés dans leur rayonnement par la plénitude du toucher, c’est étourdissant dans le génial Finale de la Première Sonate d’Enesco, vaste rêverie nocturne ponctuée de carillons où Mihai Ritivoiu élargit l’espace sonore par un savant emploi de la pédale : non plus un piano, mais bien trois ou quatre.

Quel sorcier !, qui s’engage dans la Sonate de Liszt avec une absence totale d’histrionisme. C’est construit, pensé, assumé, non plus un pandémonium, mais bien une grande sonate narrative tenue par une forme omniprésente et toute puissante. Avec cela, la clarté d’une sonorité qui ouvre tout l’espace polyphonique, et sait donner de l’ampleur au discours lisztien sans y verser une goutte de sentimentalité. Arrau ne faisait pas autrement, c’est dire.

La belle acoustique de la St. Paul Church porte toute l’ampleur du très beau Steinway joué par ce jeune homme établi à Londres ; croyez le ou pas, il semble que ce soit son premier disque.

LE DISQUE DU JOUR

César Franck (1822-1890)
Prélude, Choral et Fugue, M. 21
Georges Enesco (1881-1955)
Sonate pour piano No. 1 en fa dièse mineur, Op. 24 No. 1
Franz Liszt (1811-1886)
Sonate pour piano en si mineur, S. 178

Mihai Ritivoiu, piano

Un album du label Genuin GEN18601
Acheter l’album sur le site du label Genuin, sur le site www.clicmusique.com, ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Photo à la une : © DR